Concevoir l’impression

Concevoir l’impression

Eugenia Luchetta Publié le 6/11/2018

En conception graphique, l’impression intervient en phase finale du projet. Elle est réalisée lorsque le travail est terminé afin que les images et les textes soient reproduits de la manière la plus fidèle et précise possible. Pour certains designers, l’impression et la production font partie intégrante du projet. Comme le développement du concept et la mise en page, l’impression nécessite tout autant de savoir-faire et de créativité.

Dans cet article, nous nous intéressons à 7 projets graphiques et au rôle fondamental de leur impression (analogique, numérique ou, bien souvent, hybride). Dans ces exemples, l’impression n’est pas une opération ultérieure, elle fait partie intégrante du processus de création. Matériaux, développements et variables s’entremêlent pour créer des solutions innovantes dépassant les limites imposées par les logiciels et les normes prédéfinies.

1. Alexis Rom Estudio ­­­– Atelier Vostok, Get up printing kit, 2007. Espagne/Italie

Alexis Rom Estudio – Atelier Vostok est un laboratoire d’idées, d’expérimentation graphique et de communication visuelle basé à Barcelone et à Milan. Cette agence travaille avec l’esprit d’un atelier de création en s’intéressant aux langages, techniques et processus graphiques. Le projet “Get up printing kit” en est le parfait exemple. Il s’agit d’un travail d’identité visuelle d’un salon de coiffure, réalisé en fournissant au client un système d’auto-production. Ce kit est composé d’un ensemble de tampons modulaires représentant des coiffures et des visages associables en de nombreuses combinaisons. Ce kit a été conçu de manière artisanale par des designers à l’aide d’une vieille machine photopolymère et du bois de balsa. Le but est de permettre au client de créer une image personnalisée. L’identité de la marque est configurée comme un jeu, avec un résultat des plus efficaces.

2. Raw Color, Keukenconfessies, 2010. Pays-Bas

C’est pour les designers culinaires hollandais de Keukenconfessies, un service traiteur respectueux de l’environnement et attentif à la présentation de ses produits, que l’agence de graphisme hollandaise Raw Color a créé une identité visuelle fondée sur le même principe que le “Get up printing kit” : un large choix d’icônes, inspirées de la nourriture et des ustensiles de cuisine, peut être associé et superposé en un nombre incalculable de combinaisons. Si le premier calque a été imprimé en offset, les calques à superposer sont réalisés à l’aide de tampons ad hoc fournis au client, qui permettent de personnaliser chaque élément. L’association des différents éléments rappelle le mélange des couleurs et des saveurs en cuisine.

3. Onlab, Galerie C, 2011–2014. Suisse

De 2011 à 2014, pour la communication des expositions de la galerie d’art Galerie C., l’agence suisse Onlab a conçu des affiches exploitant la possibilité offerte par la sérigraphie d’imprimer plusieurs calques les uns sur les autres. Le programme de chaque saison consistait en effet en une affiche contenant toutes les informations relatives aux différentes expositions, recouvertes tour à tour d’une surimpression laissant visibles uniquement les informations de l’exposition en cours. Pour chaque nouvelle édition, les graphistes ont proposé des variations de couleurs, de mise en page et de modalités d’impression, tout en restant fidèles au concept d’origine.

4. Automatico Studio, Lausanne Underground Film & Music Festival (LUFF), 2013. Suisse

Pour la communication de l’édition 2013 du “Lausanne Underground Film & Music Festival” (LUFF), un événement célébrant l’originalité et l’excentricité en musique et au cinéma, l’agence Demian Conrad Design a utilisé une technique d’impression spécialement conçue pour ce projet. Conformément au thème de l’édition, qui était “l’accident”, la communication du festival a été dotée d’un effet visuel créé en altérant le processus d’impression, révélant ou cachant au hasard les différentes informations. Le résultat est un mélange d’erreur accidentelle et de censure. Cette technique, dénommée WROP (“water random offset printing”) par le graphiste Demian Conrad, consiste à intervenir directement sur le processus d’impression offset en utilisant de l’eau pour créer des effets imprévus et uniques. L’opération analogique de cette technique interagit avec le fonctionnement de la machine en modifiant les paramètres hydro-chromatiques traditionnels.

5. Music Agency, The Event Sculpture, 2014. Royaume-Uni

Pour l’exposition The Event Sculpture proposée par la Fondation Henry Moore, durant laquelle neuf nouveaux artistes ont réalisé chacun une performance, l’agence Music Agency a conçu une identité visuelle composée de plusieurs éléments uniques. En effet, les graphismes ont été imprimés en négatif et en blanc sur de vieilles affiches trouvées dans une imprimerie, de manière à doter chaque poster ou brochure de couleurs et de matériaux qui lui sont propres. Le processus de création de chaque affiche reflète la nature même de l’exposition, consistant en un ensemble d’événements temporaires et singuliers que chaque spectateur a vécu différemment.

6. A2-Type, Chalk Studios & New North Press, A23D, 2014. Royaume-Uni

A23D est une typographie à caractères mobiles imprimée en 3D, réalisée à la demande de Richard Ardagh, graphiste et partenaire de New North Press, une agence londonienne spécialisée dans l’impression et les caractères mobiles. Conçue par l’agence A2-Type et fabriquée par les spécialistes en prototypes de Chalk Studios, cette typographie est née de la volonté de Richard Ardagh de relier les techniques d’impression traditionnelles et innovantes. Ce projet a connu bien des complications relatives à l’épaisseur du tracé, aux matériaux et au processus d’impression. En effet, le matériau devait pouvoir résister à la force de la presse et à l’impression des détails les plus subtils. Après plusieurs tentatives, la typographie définitive a été imprimée grâce à la technologie “polyjet”, utilisant des photopolymères liquides.

7. Irma Boom, Chanel No. 5, 2007. Pays-Bas

Lorsque Chanel lui a commandé la création d’une publication sur le thème du parfum de légende Chanel n°5, Irma Boom, l’une des conceptrices de livres les plus réputées pour ses solutions inattendues et l’attention portée aux matériaux, a réalisé un livre défiant toute attente. En effet, le volume entier a été “imprimé” sans aucune trace d’encre ; chaque page a été imprimée sur une feuille d’aluminium, puis reproduite sur le papier à l’aide d’une vieille presse typographique. Le but était de représenter à la fois l’invisibilité et l’intensité du parfum.