Des polices typographiques du Bauhaus rééditées

Des polices typographiques du Bauhaus rééditées

Tanita Wensky Publié le 7/30/2018

Le Bauhaus, l’une des écoles de design les plus marquantes et les plus novatrices du siècle dernier, fête cette année les cent ans de sa fondation. Ses quatorze années d’existence ont vu naître de nombreuses icônes du design, et des créateurs majeurs se revendiquant alors de plusieurs disciplines y ont enseigné la symbiose de l’art et de l’artisanat. Les idées et les œuvres élaborées au sein de cette célèbre école d’art fondatrice de la modernité ont eu une influence durable sur le design.
Alors que les chaises de style Bauhaus n’ont jamais été aussi prisées et que la chaise cantilever de Marcel Breuer se retrouve dans presque toute salle d’attente, des travaux de typographie méconnus du Bauhaus, relégués aux archives durant des années et partiellement inédits, refont surface.

Dans le cadre des festivités organisées cette année pour le centenaire, la Fondation Bauhaus Dessau, en collaboration avec Adobe, a invité des typographes à l’ancienne école d’art pour qu’ils revisitent cinq projets connexes du Bauhaus et les mettent à disposition sous forme numérique.

Avec le concours de cinq universités et du célèbre créateur de caractères Erik Spiekermann, une poignée d’étudiants ont été reçus au Bauhaus pour relever ce défi. Parmi eux, Flavia Zimbardi et Luca Pellegrini, qui ont pu se consacrer à une sélection d’ébauches de polices, de caractères et de posters abandonnés dans les archives du Bauhaus de Dessau durant des décennies.
L’une de ces polices de caractères est Xants de Xanti Schawinsky, recréée par Luca Pellegrini, graphiste et étudiant en Master à l’ECAL. Schawinsky, artiste polymorphe du Bauhaus, avait déjà conçu un jeu de caractères complet au début des années 1930, que Luca Pellegrini a désormais enrichi de caractères spéciaux tels que des symboles monétaires, des signes de ponctuation et des symboles mathématiques. La police ainsi restaurée, Xants, présente certains traits d’une police au pochoir et, malgré un design rectiligne, conserve un caractère néoclassique. Son contraste entre pleins et déliés est frappant.

La deuxième police rééditée dans le cadre du projet Hidden Treasures Bauhaus Dessau est Joschmi. À la différence de Xants, elle ne consistait originellement qu’en une ébauche de six minuscules (a, b, c, d, e, g), réalisée par Joost Schmidt, étudiant puis professeur de typographie au Bauhaus. Cette police a été reconstituée par Flavia Zimbardi, typographe diplômée de la Cooper Union et résidant à New York.

La police Joschmi se compose de formes géométriques simples, alignées sur une grille typographique, disposition caractéristique du Bauhaus. À partir des six minuscules, et en définissant des paramètres supplémentaires, Flavia Zimbardi a développé une police de caractères fonctionnelle. Malgré des extrémités marquées, le résultat est d’un minimalisme surprenant. La forme massive et ronde évoque spontanément le Bauhaus. Le style pochoir confère à cette police étroite un ton à la fois réservé et ludique. L’augmentation de l’espace entre les épaisses traverses facilite la lecture.Ce travail sur la police Joschmi n’a donc pas commencé par une page blanche, mais à partir d’ébauches de caractères existants. Interrogée sur les spécificités du processus de recréation numérique d’une police et sur les difficultés propres à une telle réinterprétation, Flavia Zimbardi commente : « C’est un jeu dans lequel on doit faire un choix entre suivre l’original à la lettre et apporter des corrections visuelles afin de transformer cette idée, ce concept, en un produit fonctionnel adapté au monde d’aujourd’hui. »

Flavia Zimbardi est fascinée par ce travail de restauration, qui lui a ouvert de nombreuses possibilités dans le domaine numérique. L’utilisation d’une grille typographique a joué un grand rôle dans son travail : « Cela m’a permis de réaliser beaucoup d’essais et de créer de nombreuses variantes, disponibles dans la version finale sous forme de styles OpenType. »

La recréation d’une police impose des contraintes particulières. Il n’y a pas de page blanche ni de premier jet. Il est essentiel de comprendre l’idée de l’original, notamment son contexte historique, et le passé de cette police. On peut ainsi analyser chaque élément des caractères ou réinventer une grille typographique pour faire resurgir la structure du design. Pour Flavia Zimbardi, cette dimension de la recréation de polices « suppose d’être à la fois archéologue et designer. »

Outre Xants et Joschmi, trois polices supplémentaires doivent encore être publiées ou republiées dans le cadre du projet continu Hidden Treasures Bauhaus Dessau.

Les ébauches originales de ces polices ont été conçues par les maîtres du Bauhaus Carl Marx, Alfred Arndt et Reingold Rossig et devraient être publiées progressivement cet été. Les polices de caractères achevées sont d’ores et déjà disponibles dans Adobe Typekit.