Les maîtres du graphisme : Massimo Vignelli

Les maîtres du graphisme : Massimo Vignelli

Ciro Esposito Publié le 2/17/2020

Massimo Vignelli était un graphiste italien ayant vécu la plus grande partie de sa vie à New York. Né à Milan en 1931, il étudie l’architecture avant de travailler et de diversifier son activité en matière de design : graphisme, mobilier, décoration d’intérieur, agencement.

Design is one : telle est sa devise, et celle de son épouse Lella, avec laquelle il a travaillé toute sa vie. Identité visuelle, signalétique ou tasse de thé, pour les Vignelli, les problématiques et l’approche sont les mêmes ; ils adoptent la même rigueur, la même cohérence et la même attention à la fonction.

“The Vignelli Canon”, un succès éditorial sur le Web

En 2010 Vignelli publie The Vignelli Canon[1], un fascicule distribué gratuitement sur son site Internet et présentant son idée du design. Ce livre contient deux parties. Dans la première, il parle des éléments intangibles nécessaires à la réussite d’un projet graphique, tels que la sémantique, la syntaxe, l’intemporalité, la responsabilité, la discipline et la pertinence. La seconde partie est consacrée aux éléments intangibles avec quelques exemples pratiques. Il explique comment élaborer une grille, utiliser les couleurs et mettre en page du texte. La majorité des exemples est issue des projets réalisés par Vignelli durant sa longue carrière.

Pour Vignelli, la recherche de sens est la première chose sur laquelle se pencher. Cette quête de signification permet de mieux comprendre la nature du projet et de trouver la direction la plus juste et la plus appropriée.

Outre avoir un “sens”, un projet doit être syntaxiquement correct. Il doit parler correctement la langue du design en utilisant les bons mots, à savoir la grille, les caractères, le texte et les images. Il faut rendre le tout cohérent en mettant en relation les éléments entre eux.

Si l’on réalise des projets riches de sens, syntaxiquement corrects, mais peu compréhensibles, alors on ne travaille pas convenablement. Cela ne rime à rien : « Quoi que l’on fasse, si l’on n’est pas compris, c’est un gâchis de communication, un effort vain ».

Les œuvres de Vignelli : quelques exemples de son habileté

Les premières collaborations de Vignelli se font avec des cabinets d’architecture. Il enseigne aussi le dessin industriel à l’université IUAV de Venise, où il a lui-même étudié, sans avoir été diplômé. Les affiches du Piccolo Teatro de Milan au début des années 60 font partie des premières œuvres notoires de l’artiste. Ces affiches uniquement textuelles, où prédominent les éléments informatifs (le titre de l’opéra, la date, les comédiens), sont à contre-courant de ce qui se fait à cette époque-là.

C’est toujours durant cette période que Massimo Vignelli réalise la ligne éditoriale de l’éditeur italien Biblioteca Sansoni, ainsi que certaines affiches pour Pirelli et la Biennale de Venise. En association avec Bob Noorda, il fonde le studio de graphisme Unimark et conçoit une nouvelle ligne éditoriale pour la maison d’édition Feltrinelli.

À la fin des années 60, Vignelli et Unimark s’installent à New York, avant d’ouvrir des succursales dans d’autres villes américaines. Il ouvre notamment un bureau à Détroit pour travailler avec l’un de ses premiers grands clients, le fabricant automobile Ford. Il collabore aussi avec d’autres grandes entreprises, telles que Knoll et American Airlines, pour n’en citer que quelques-unes.

La signalétique du métro de New York ? Toujours lui ! En 1972, il crée même le plan de ce métro, l’une de ses œuvres les plus célèbres à ce jour, composé uniquement de lignes colorées et de points, sans aucune référence géographique, comme le sont désormais tous les plans de métro. Le guide réalisé pour la signalétique du métro de New York a d’ailleurs été réimprimé il y a quelques années par Standards Manual.

Vignelli se sépare ensuite d’Unimark et continue avec son propre bureau d’étude. Il conçoit le logo et le packaging des grands magasins américains Bloomingdale’s. Comme beaucoup d’autres œuvres de Vignelli, même les sacs et les boîtes de Bloomingdale’s, colorées et sans logo, deviennent mythiques. Le logo est uniquement présent sur le ruban adhésif refermant les boîtes, et disparaît dès qu’elles sont ouvertes.

Lorsque Vignelli évoque ce projet, il parle de l’équilibre à trouver entre identité et diversité. Si l’on se rapproche de l’une des extrémités, on risque alors de paraître ennuyeux ou de manquer d’identité. Trop d’identité génère de la redondance, mais trop de diversité crée de la fragmentation. Aucune de ces situations ne peut aider une marque à devenir mémorable aux yeux des clients ou des consommateurs.

Une vie consacrée au design

Vignelli a consacré sa vie au design. Nombre de ses œuvres sont devenues légendaires. Son travail a eu une telle influence que David Lasker, une autorité dans le domaine de design, a un jour déclaré :

« Pratiquement toute personne vivant dans le monde occidental croisera, à un moment ou un autre de sa journée, une œuvre de Vignelli »[2].

Massimo Vignelli a également collaboré avec de nombreux clients, parmi lesquels Benetton, Cinzano, Lancia, Poltrona Frau, Ducati et les chemins de fer italiens Ferrovie dello Stato, pour lesquels il a réalisé la signalétique. En parlant de travaux mythiques, on lui doit aussi le logo de la chaîne de télévision italienne Tg2 et le célèbre fauteuil Intervista.

L’engagement de Vignelli en faveur du design l’a même amené à concevoir, dans les moindres détails, son propre enterrement, comme l’a raconté la revue Quartz (article en anglais), allant de la disposition des chaises au choix de son urne funéraire. Urne qui se trouve désormais en l’église Saint Peter de New York, pour laquelle lui et sa femme avaient dessiné l’aménagement intérieur dans les années 70.

Michael Bierut, l’un des plus grands graphistes contemporains, associé au studio Pentagram, a longtemps travaillé avec Vignelli. Dans un article publié dans le Design Observer aussitôt après la mort de Vignelli (en 2014), il parle de son expérience avec le graphiste italien. Bierut, qui pensait être engagé pour un projet de 18 mois afin d’apprendre de nouvelles techniques, est finalement resté dix ans à ses côtés :

« C’est Massimo qui m’a enseigné l’une des choses les plus simples au monde : en faisant du bon travail, on décroche de nouveaux projets intéressants, et en faisant du travail négligé, on n’obtient que des projets insipides. Cela semble simple, mais c’est incroyablement facile à oublier dans une vie faite de pragmatisme et de compromis. Le seul moyen de faire du bon boulot, c’est simplement de bien travailler. Et Massimo a bien travaillé. »

Un “total designer”

Vignelli était un “total designer“. Il a réalisé toutes sortes de choses en s’illustrant dans de nombreux domaines du design. Il a conçu des affiches, des revues, des journaux, des livres, des chaises, des fauteuils, des logos, des églises, des expositions, des agencements, des étiquettes pour bouteilles de vin[3]. Il a aussi réalisé un système modulaire pour l’impression d’opuscules, mais aussi des brochures pour les parcs nationaux américains. Aujourd’hui au nombre de 400, ces parcs accueillent près de 300 millions de visiteurs par an. Un projet qui à ce jour nécessite encore un énorme travail d’impression.

En 1977, Vignelli crée le système Unigrid pour le National Park Service, un système de grille modulaire de format A2 ayant permis de concevoir des brochures en dix formats de base tout en conservant une structure cohérente et reconnaissable, avec une économie considérable en matière d’impression et de production.

Ce projet renferme toute la pensée de l’artiste et son approche du design. Un projet intemporel (le système Unigrid est encore utilisé aujourd’hui), dans lequel son idée du graphisme, fondée sur l’organisation des informations, est pleinement exprimée. Un projet “responsable”, une autre valeur intangible du “Canon” :

« En tant que designers, nous avons trois niveaux de responsabilités :

Le premier envers nous-mêmes et l’intégrité du projet dans ses moindres détails.

Le deuxième envers nos clients, pour résoudre les problèmes le plus économiquement et efficacement possible.

Le troisième envers la société, le consommateur et l’utilisateur du design final. »

Pour approfondir

Dans cet article, nous avons évoqué seulement une petite partie de l’œuvre de Vignelli. Pour approfondir, nous vous renvoyons à son livre Design: Vignelli, un recueil de ses travaux de 1954 à 2014, au documentaire Design is One et au compte Instagram du Vignelli Center.

Situé au sein du Rochester Institute of Technology de New York, le Vignelli Center rassemble toutes les archives de l’œuvre de Lella et Massimo Vignelli. On peut notamment y trouver des trésors, comme ces ébauches de packagings réalisées par Unimark en 1973 pour McDonald’s (jamais produites).

Autres liens

[1]           The Vignelli Canon est disponible gratuitement en anglais au format PDF http://www.postmediabooks.it/2012/66canonevignelli/canone_vignelli_canon.htm.

[2]          La morte di Massimo Vignelli, grande designer, par Emily Langer, “Washington Post” (traduction italienne par “Il Post“)

[3]          Dans cette vidéo YouTube, Vignelli évoque le projet des étiquettes de bouteilles de vin Feudi di San Gregorio