Le lettrage et la typographie choisis par le grand maître du cinéma populaire
À certains égards, Stephen Spielberg est synonyme de cinéma. Le réalisateur a enchaîné les chefs-d’œuvre, jouant avec les émotions du public, le faisant rire et pleurer, et façonnant le cinéma américain depuis les années 1970.
Mais ce n’est pas tout : il a également créé des images, des personnages et des mondes qui sont définitivement ancrés dans l’imaginaire collectif : l’archéologue loufoque Indiana Jones, les dinosaures de Jurassic Park, les attaques terrifiantes des Dents de la Mer et le plus célèbre des extraterrestres, E.T.
Mais aujourd’hui, nous aimerions vous parler d’un autre type d’icône dans les films de Steven Spielberg : les polices de caractères, le lettrage et les choix typographiques dans chacun de ses chefs-d’œuvre ! Après tout, qui peut oublier le lettrage aventureux d’Indiana Jones ou le logo de l’étrange parc d’attractions sur le thème des dinosaures ?
Les Dents de la Mer
Les Dents de la Mer, sorti en 1975, est le film qui a permis à Steven Spielberg de se faire un nom dans le Hollywood des années 1970 – le “Nouvel Hollywood” – et qui a également donné naissance à un nouveau genre cinématographique au succès incroyable : le blockbuster d’horreur.
La scène d’ouverture des Dents de la Mer se déroule dans les profondeurs de l’eau, accompagnée des notes inquiétantes de la légendaire bande-son de John Williams. La typographie utilisée pour les titres d’ouverture, conçue par Universal Title, reprend largement la police et le lettrage choisis pour la première édition du roman du même nom sur lequel le film est basé.
Le lettrage du titre principal a probablement été conçu spécialement pour le film, sur la base d’une police de caractères extra-bold, avec le J de Jaws ayant été modifié pour ressembler à un crochet. Les autres titres, quant à eux, comportent un élément de base de la typographie des années 1970 : ITC Souvenir, une police à empattement arrondi inspirée d’une police créée au début du XXe siècle par le créateur de caractères américain Morris Fuller Benton, et retravaillée en 1967 par le prolifique maître de la création de caractères Ed Benguiat.
Il est parfois connu sous le nom de ‘ le Comic Sans des années 1970‘ : Souvenir a été utilisé à l’excès, en partie parce qu’elle était optimisée pour la photocomposition, souvent à des endroits inappropriés, et est rapidement devenue l’une des polices les plus détestées du monde.
Les Aventuriers de l’Arche perdue
Les Aventuriers de l’Arche perdue, qui est sorti en 1981, est le film qui a donné le coup d’envoi de l’une des sagas les plus célèbres du cinéma populaire américain et qui a présenté son personnage principal inoubliable, Indiana Jones, sur le grand écran.
Le lettrage emblématique qui sera finalement associé à toute la série n’apparaît en fait que sur l’affiche, et non dans le générique de début. Il a été conçu par Mike Salisbury, un directeur artistique qui, bien qu’il soit très apprécié à Hollywood et dans le monde de la culture pop en général, est resté largement à l’écart du public : il a travaillé sur le plateau d’Apocalypse Now et de Rocky, pour des magazines comme Playboy, sur des jeux vidéo comme Halo et pour des légendes de la musique comme George Harrison.
Le lettrage a sans doute été inspiré par les affiches classiques créées pour les séries d’aventures, un format extrêmement populaire parmi les cinéphiles américains dans les années 1930 et 1940. Une police moderne qui rend hommage à ce style, Adventure, peut être téléchargée gratuitement ici.
Cependant, les titres d’ouverture du premier film à succès Indiana Jones comportaient une police de caractères un peu plus anodine : Open Capitals Roman, créée en 1929 par le designer néerlandais Jan van Krimpen.
Prenons une minute pour apprécier l’inoubliable scène d’ouverture du film !
Jurassic Park
Jurassic Park, le quatorzième film du prolifique réalisateur américain, est sorti en 1993. Tout le monde connaît le contenu du film : une île secrète, des effets spéciaux très avancés (pour l’époque), un parc d’attractions avec des dinosaures clonés et, bien sûr, quelque chose qui tourne inévitablement mal.
La police de caractères choisie pour le titre du film est une version simplifiée de la police Neuland, une police de caractères expressionniste conçue par l’Allemand Rudolf Koch en 1923. Koch a apparemment gravé la police directement dans le métal sans aucune esquisse préalable, et cette genèse inhabituelle explique probablement les formes inhabituelles de cette police sans empattement et en majuscules.
Bien que Neuland se soit retrouvé sur la liste des pires caractères de tous les temps, il a été utilisé à plusieurs reprises, notamment pour le le logo de la société de tabac American Spirit et les affiches de l’adaptation à Broadway du dessin animé de Disney, Le Roi Lion.
Arrête-moi si tu peux
Arrête-moi si tu peux est une comédie au rythme effréné, réalisée par Steven Spielberg et dotée d’une distribution exceptionnelle : Leonardo DiCaprio incarne un escroc professionnel et expert en fausses identités, tandis que Tom Hanks est l’agent du FBI chargé de l’attraper.
En plus d’être très bien noté, ce film hilarant a également été salué pour son superbe générique de début.
La séquence titre – réalisée par le duo artistique français Kuntzel + Deygas – est un véritable film dans le film, une œuvre d’art miniature rappelant les créations de Saul Bass pour les films d’Alfred Hitchcock. Vous pouvez lire un long entretien avec les deux créateurs ici.
La séquence exploite la typographie cinétique à son plein potentiel, en utilisant les dernières technologies disponibles à l’époque. Bien que les silhouettes de l’imposteur et du policier se poursuivant l’une l’autre sur la bande-son jazzy de John Williams soient amusantes, les véritables stars de la scène – en particulier pour les amateurs de typographie – sont les deux polices de caractères choisies pour la séquence. La principale d’entre elles est Coolvetica, une police sans empattement aux glyphes modifiés et ultra-longs, et l’une des nombreuses variations de l’Helvetica apparue dans les années 1970, basée sur le logo d’une chaîne de magasins américains.
Coolvetica est associée à Hellenic Wild, une police de type slab ou égyptien (c’est-à-dire à empattements larges et carrés) très en vogue au milieu du XXe siècle.
Pentagon Papers
Pentagon Papers est un thriller politique de 2017. Le film de Spielberg emmène le spectateur à l’intérieur du bureau de la rédaction d’un journal américain The Washington Post : nous sommes en 1971, et le journal a décidé de publier des documents top secrets sur la guerre en cours au Vietnam, ce qui entraîne un affrontement féroce avec la Maison Blanche.
La police de caractères choisie pour le titre du film était le classique Helvetica, qui est l’une des polices les plus utilisées dans le monde depuis les années 1970 : on le trouve partout, y compris sur les panneaux du métro de New York, les navettes spatiales de la NASA, le premier Macintosh, sorti en 1984, et un large éventail de logos, comme ceux de Lufthansa, Nestlé, Panasonic et Microsoft. Nous avons raconté son histoire ici.
L’Helvetica est souvent choisie pour son ton extrêmement neutre. Et c’est peut-être cette caractéristique qui a poussé Stephen Spielberg à opter pour cette police, étant donné que le film est ouvert dans son soutien à une presse indépendante et libre.
Au lieu de l’habituel clip des titres, voici une perle tirée de Pentagon Papers qui ne manquera pas d’enthousiasmer ceux d’entre nous qui aiment l’imprimerie et la typographie : la reproduction fidèle par le film du fervent travail de composition et d’impression effectué dans les quotidiens dans les années 1970.
Comme nous l’avons vu, Steven Spielberg est capable d’absolument tout, tant dans sa mise en scène que dans son choix de polices. Ses chefs-d’œuvre des années 1970, 1980 et 1990, qui lui ont apporté la célébrité et l’adoration du public, ont été complétés par un lettrage audacieux, voyant et reconnaissable. Le style typographique de films comme Indiana Jones et Jurassic Park est devenu tout aussi emblématique que ses films.
Cependant, Spielberg est aussi un réalisateur extrêmement intelligent, qui sait comment utiliser les différents supports cinématographiques à sa disposition et comprend l’importance des détails graphiques. Ses titres, dont le très acclamé générique de Arrête-moi si tu peux, ont prouvé qu’il est l’une des rares personnes capables de faire quelque chose d’unique : faire revivre la saveur du cinéma américain classique à l’ère moderne.