L’art de l’encadrement en carton

L’art de l’encadrement en carton

Anabel Herrera Publié le 10/11/2017

Franchir la porte de l’Inventory Barcelona équivaut à faire un exercice très important de maîtrise de soi, car c’est un magasin où l’on achèterait tout. Ses fondateurs, l’architecte d’intérieur Allan Stuart et l’artiste Gabriel Pereyra, ont un goût exquis pour la décoration, et cela fait cinq ans qu’ils le partagent avec leurs clients de cet espace situé dans l’un des quartiers les plus bohèmes de Barcelone, auparavant une zone de tissage et lavage d’une usine textile, à la recherche de mobilier, de lampes, de tissus, de posters, de cartes, de livres d’art, d’ustensiles et de papeterie, entre autres produits.

Mais, sans doute, un des coins les plus attirants est l’atelier d’encadrement de Gabriel, l’artisan des insolites cadres en carton pour peintures et miroirs. « Mon rapport avec le carton a peut-être commencé en Argentine [sa terre natale] avec les cartoneros, des personnages attrayants car ils se promenaient dans toute la ville en poussant des chariots remplis de cartons », explique-t-il.

Copyright: Gabriel Pereyra

Gabriel peint et dessine de manière compulsive depuis enfant. Malgré ses études en Psychologie, sa passion était l’art, c’est pourquoi il a fait les valises et est parti à New York pour étudier à l’Art Students League, passionné des connaissances d’un professeur qui avait été le disciple direct du peintre expressionniste allemand George Grosz. De retour en Argentine, il a créé un magasin de cadres avec sa famille, mais le destin et son admiration envers le peintre Diego Velázque, avoue-t-il, l’ont amené à Barcelone à 38 ans.

C’est en Espagne qu’il s’est perfectionné dans l’art de l’encadrement « en travaillant dans des ateliers où il avait accès à tout type de cadres anciens. » Et c’est là aussi qu’il a connu sa femme, une Finlandaise. Lors d’une visite à Helsinki, Gabriel vit une exposition de meubles en carton qui le fascina : « Ce qui a vraiment attiré mon attention est le fait de voir le matériel et qu’il s’agissait de meubles que l’on pouvait utiliser. C’est alors que je me suis demandé s’il était possible de faire des cadres anciens en carton », raconte-t-il.

Copyright: Gabriel Pereyra

Ceci a été le début d’un parcours qui, d’après l’artiste argentin, n’a pas de fin. « J’ai commencé avec du carton recyclé, comme celui que l’on peut trouver dans la rue ; puis j’ai acheté des plaques de carton ondulé, un peu plus dur mais résistant, car plus on se perfectionne et plus on est exigent. » Disons que la technique consiste à « faire sortir la peau » des plaques afin que les ondulations du carton restent à découvert. Pour que le cadre ait une forme convexe, il emploie de grands tubes, comme ceux utilisés pour garder des photos ou des posters, coupés à la moitié. En dernier lieu, il le peint « pour qu’il prenne de l’ampleur ».

Copyright: Gabriel Pereyra

Récemment, Gabriel, artiste multidisciplinaire, a également utilisé le carton pour créer des œuvres géométriques colorées qui se rapprochent plus de la sculpture que de la peinture. Certaines font même deux mètres. Il vend également des petits dessins sur papier avec des cadres qui semblent faits en carton, signés sous le pseudonyme Peyrone, sur Inventory Barcelona. « J’ai inventé un alter ego pour que certains de mes travaux puissent devenir des produits de marché afin de pouvoir les reproduire encore et encore et ainsi les vendre à bon prix. »

Ceci lui permet de faire des travaux plus personnels, éclectiques, comme des peintures à l’aquarelle qu’il montre sur Instagram, sans devoir penser à l’argent. Ainsi l’affirme ouvertement Gabriel : « Je n’ai aucun rejet envers l’argent, je me suis déjà réconcilié avec il y a un certain temps. Car quand on est artiste, on dirait qu’il faut produire des œuvres pour l’art, que l’on ne peut pas y penser comme un produit de marché. En revanche, maintenant, grâce au magasin, j’ai changé ma mentalité. » À présent, ce qui lui manque, d’après lui, c’est le temps : « Je veux plus de temps, je t’en achète », propose-t-il en riant.

Alors que le jazz de fond, sa musique préférée et presque une obsession, continue à s’écouter à l’Inventory Barcelona, Gabriel dit se sentir un privilégié par le fait de pouvoir se consacrer à sa passion : « Très peu de gens peuvent se faire plaisir en faisant ce qu’ils veulent dans la vie. Sortir de ce cercle vicieux n’est pas facile. » Et il conseille de « ramer et toujours ramer, car la commodité est destructive ». C’est noté.