Homelessfonts

Homelessfonts

Carmen Perez Publié le 3/7/2018

La Fondation Arrels est à l’origine d’une initiative qui permet de transformer les lettres manuscrites de personnes vivant dans les rues de Barcelone en abécédaires soignés destinés à être utilisés pour le packaging, la papeterie et les projets Web.

Tout a commencé en 2009. Loraine Halgabary, alors en vacances à Barcelone, est attaquée au couteau par trois inconnus qui lui volent ses affaires, y compris son passeport. Aujourd’hui, au siège de la Fondation Arrels, qui lui a redonné une vie, elle nous montre les énormes cicatrices qui resteront pour toujours imprimées sur son bras droit.

Suite à cet épisode, la londonienne s’est retrouvée plongée dans un véritable périple bureaucratique, son passeport ayant été utilisé à des fins illégales. Elle n’a alors eu d’autre choix que de vivre dans la rue pendant des années, tout d’abord dans un entrepôt, puis dans un parc, jusqu’à ce qu’elle se décide à rejoindre la Fondation, qui apporte son aide aux sans-abris depuis 1987, en leur proposant un hébergement, de la nourriture ainsi qu’une aide sociale et des soins médicaux. On estime que pour la seule ville de Barcelone, 3 395 personnes sont, comme Loraine, sans domicile, et 1 026 d’entre-elles dorment dans la rue, soit 61,8 % de plus qu’il y a 10 ans, selon les chiffres du réseau espagnol d’aide aux sans-abris « Red de Atención a Personas Sin Hogar ».

Pour rendre leur dignité à ces personnes de façon différente, la Fondation Arrels, en collaboration avec l’agence publicitaire The Cyranos MacCann, lance un projet original appelé Homelessfonts (Typographies des sans-abris). Elles ont ainsi créé des typographies à partir de la calligraphie de personnes vivant dans les rues de la capitale catalane pour que les utilisateurs, à titre particulier, ou bien les entreprises, les utilisent dans leurs projets. Il s’agit des calligraphies utilisées par les personnes sans abri pour écrire des messages sur des cartons pour demander de l’aide, désormais converties en un outil puissant destiné, selon la Fondation, à transformer la vision de la société sur cette problématique.

Ana Maria, Guillermo, Stere, José Luis, Gemma, Miquel, et bien sûr Loraine, sont quelques-uns des 12 protagonistes de cette belle histoire. Pour créer les typographies, ces sans-abris ont participé à plusieurs ateliers avec des typographes collaborateurs. Ils écrivaient les lettres, les chiffres et les symboles sur un gabarit, et les typographes s’occupaient d’écrire les abécédaires et de les soumettre à un traitement numérique jusqu’à ce qu’ils soient convertis en typographies, tout en conservant la personnalité des auteurs.

Le résultat est une belle collection typographique disponible sur le site Web du projet, en même temps que nous entrons dans l’histoire des personnes qui se trouvent derrière chaque abécédaire par le biais de vidéos présentées à la première personne. Pour 19 €, il est possible d’utiliser ces typographies pour des documents, des rapports, des conceptions et du marketing, avec un nombre limité de copies. En revanche, le coût de la licence pour les professionnels qui recherchent un usage publicitaire et commercial, par exemple pour des annonces publicitaires, de la papeterie, un packaging, une identité graphique et des pages Web, est de 290 €. Tous les bénéfices sont destinés à aider les 1 400 personnes soutenues par la Fondation Arrels.

De nombreuses marques ont choisi d’apporter une valeur ajoutée sociale à leurs produits, de l’organisation à but non lucratif Espigoladors, qui fait des confitures avec des surplus alimentaires ou des fruits et légumes laids et imparfaits pour lutter contre le gaspillage alimentaire, jusqu’au magasin de vêtements La Sostenible ou l’agence australienne de stratégie de marque MamaTray.

Loraine n’arrive toujours pas à croire que sa calligraphie soit l’une des plus demandées. Elle n’avait pas réalisé l’importance du projet, jusqu’à ce qu’on l’emmène par surprise dans un magasin qui vendait des produits de Valonga, et qui utilisait sa calligraphie manuscrite sur les étiquettes des vins, des huiles, des confitures, du miel ou même du savon. Loraine était sans voix. Mais maintenant, avec le temps, elle nous raconte à quel point cela a été merveilleux de participer à Homelessfonts pour pouvoir rendre à la Fondation Arrels, pour laquelle elle travaille actuellement, tout ce qu’elle a fait pour elle.