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Bien qu’il reste séparé de l’univers du graphisme, le monde de l’impression suscite toujours beaucoup de curiosité de la part des graphistes, qui souhaitent en maîtriser les techniques pour l’exploiter au mieux, tout en respectant leurs exigences créatives. En effet, les possibilités offertes par l’impression ne se résument pas seulement à la reproduction de visuels de manière toujours plus sophistiquée ou précise. Même les défauts entravant la perfection peuvent devenir un véritable champ d’expérimentation, comme en témoignent les différents exemples présentés dans cet article.
“C’est en se trompant qu’on apprend”, et c’est grâce à ce qui est normalement perçu comme une erreur d’impression que de nouvelles qualités graphiques ont pu être développées et que de nouvelles solutions dépassant les standards techniques habituels ont pu être proposés. Ces erreurs ont permis aux graphistes d’accéder aux spécificités techniques de l’impression et d’en redéfinir les caractéristiques.
Certains “défauts” traditionnels d’impression sont désormais réinterprétés comme des choix créatifs délibérés qui révèlent le processus à leur origine.
Trame de demi-teinte
Le tramage est une méthode de préparation des artefacts photographiques pour l’impression, qui utilise un maillage de points à la taille et au positionnement variables pour reproduire différentes nuances.
Cette technique repose sur une illusion d’optique : des petits points minuscules se fondent dans la trame pour créer des tons unis et des dégradés perceptibles par l’œil humain. La couleur est quant à elle reproduite en imprimant plusieurs trames les unes sur les autres selon plusieurs angles (en général quatre pour le modèle CMJN).
Pour que l’illusion d’optique fonctionne, les points doivent être suffisamment petits pour ne pas être perçus individuellement. Autrefois, une trame visible à l’œil nu était souvent synonyme d’impression bas de gamme produite avec des moyens limités.
Dès la fin des années 20, Herbert Bayer commence à explorer le potentiel des trames en les superposant pour créer des effets moirés, ou en les agrandissant. Ce n’est pourtant qu’avec l’avènement de l’impression photomécanique que la véritable expérience des trames a pu être possible. Le grand maître du graphisme qui en est à l’origine est Wolfgang Weingart. Fasciné d’impression offset, dont il désirait maîtriser tous les aspects, Wolfgang Weingart a défini le “point de trame photomécanique” comme “l’unité de construction invisible, et pourtant essentielle, de tout un processus”. L’utilisation des pellicules photomécaniques lui a permis de manipuler des typographies et des images en les déformant, puis de les modifier en les agrandissant et en superposant des trames. Cette technique a donné naissance à des projets graphiques extrêmement innovants, et a ouvert la voie à de nouvelles possibilités en matière de graphisme.
On retrouve un autre exemple intéressant d’utilisation de trames de demi-teinte dans la revue Retromundo, conçue en 1986 par Álvaro Sotillo.
Surimpression
Généralement, si deux sujets de couleurs différentes sont imprimés en aplat l’un sur l’autre, le sujet du dessus “domine” celui du dessous en cachant les parties qu’il recouvre (masquage). Ces sujets sont ensuite reproduits sur des plaques et imprimés de manière séquentielle afin que leurs marges communes se touchent, mais en évitant que les encres ne se superposent. On parle de surimpression lorsque les sujets superposés gardent leur forme et sont imprimés l’un sur l’autre en générant une troisième couleur dérivée de ce mélange. Contrairement à la peinture à l’huile, par exemple, les encres d’imprimerie sont généralement très transparentes et leur superposition se remarque immédiatement.
La surimpression a toujours été considérée comme une erreur technique d’impression, une limite révélant le processus à son origine en “polluant” le message du graphisme. À partir de la première moitié du XXe siècle, des graphistes ont néanmoins commencé à entrevoir les effets intéressants découlant de cette “erreur”. Ce sont les Hollandais Piet Zwart et Paul Schuitema qui, dans les années 20 à 30, ont joué un rôle de premier plan dans la révolution des techniques d’impression, grâce à leur approche formelle, mais plus que jamais tournée vers l’expérimentation des différents procédés. Leurs travaux se caractérisent par la superposition de blocs et d’images de couleurs donnant vie à différents calques.
La technique de surimpression est communément utilisée en graphisme publicitaire depuis les années 50, notamment grâce aux travaux de Max Huber et ses superpositions de photos, de couleurs, de signes et de typographies.
Décalage d’impression
Lorsqu’on imprime une image ou tout autre graphisme composé de plusieurs couleurs, il est nécessaire d’imprimer chaque couleur séparément par étapes successives et de les caler, c’est-à-dire de s’assurer que chaque couleur est imprimée à l’endroit précis où elle doit apparaître. Tout décalage, même d’un demi-millimètre, est immédiatement visible à l’œil nu : en se mélangeant, les couleurs forment une bordure sombre ou, au contraire, créent une bordure blanche lorsqu’elles ne se mélangent pas.
Le calage précis des images et du texte a longtemps été un sujet de préoccupation majeur pour les imprimeurs et techniciens. Bien qu’aujourd’hui les logiciels et les moyens techniques permettent d’obtenir bien plus facilement des couleurs parfaitement calées, le décalage d’impression reste une erreur courante, même sur les produits distribués à grande échelle.
Signe d’une impression peu soignée et réalisée à l’économie, le décalage est néanmoins considéré par certains graphistes comme un effet créatif. Muriel Cooper, qui a travaillé pendant une grande partie de sa carrière au MIT de Boston, était une graphiste particulièrement impliquée dans l’utilisation des nouvelles technologies dans l’univers du design et dans les expériences d’impression. Dès les années 60, elle a intentionnellement utilisé le décalage d’impression dans de nombreux projets afin de conférer un plus grand effet de mouvement et d’expression, notamment sur la couverture de Bauhaus (1969). La célèbre affiche Your Turn, My Turn d’April Greiman (1983) utilise également la technique du décalage d’impression pour créer un effet 3D.
Plus récemment, dans son projet intitulé Just in Time, Xavier Antin a imprimé un livre à l’aide de quatre imprimantes datant de 1880 à 1976, une pour chaque couleur. Au final, les impressions, caractérisées par leur décalage particulier et le mouvement des couleurs témoignent d’un processus de fabrication unissant les époques, les technologies et les différentes techniques d’impression.
Repères d’impression
En imprimerie, il existe plusieurs repères conventionnels, généralement placés en marge de la zone d’impression, afin de vérifier la conformité de leur reproduction. Le repère le plus courant est l’hirondelle, qui indique la zone de coupe (trait de coupe) et permet de vérifier l’alignement des contenus (cible). Outre les hirondelles, on trouve également les barres de contrôle servant à vérifier la densité de l’encre. D’autres repères contenant différents types d’informations et destinés à disparaître à l’issue de la phase de production peuvent peupler les marges entourant le véritable objet de l’impression.
Langage quotidien des graphistes et imprimeurs, ces repères sont devenus un objet de fascination pour certains designers, qui n’hésitent pas à se les approprier et à leur donner vie dans un nouveau contexte. Fanette Mellier a par exemple réalisé l’affiche Specimen, pouvant être perçue comme un merveilleux hommage à l’iconographie d’imprimerie. Cette affiche annonçant une série d’expositions sur la conception éditoriale à Chaumont est totalement couverte d’éléments techniques et de couleurs fonctionnant comme des repères à sa propre impression, tandis qu’un pli révèle le texte imprimé au verso.
La fascination pour les repères d’impression a également donné lieu à l’atelier Extended Registration Marks, organisé à l’ECAL par NORM (Dimitri Bruni, Manuel Krebs), et proposant aux étudiants d’explorer et de développer des repères d’impression en utilisant les associations de repères et de couleurs comme langage graphique.