Auto-publication et impression à la demande

Auto-publication et impression à la demande

Eugenia Luchetta Publié le 11/8/2018

L’édition à l’ère post-numérique

Cela fait maintenant des décennies que la mort imminente de l’impression a été annoncée, supplantée par les nouvelles technologies. Pourtant, des années 80 à aujourd’hui, le nombre de pages imprimées a augmenté de manière exponentielle, justement grâce aux nouvelles technologies, à la publication assistée par ordinateur et aux imprimantes numériques qui ont simplifié et accéléré le processus.

L’ère actuelle peut être définie comme post-numérique : la technologie numérique n’a plus rien de révolutionnaire, elle est devenue la norme. Analogique et numérique coexistent désormais dans l’univers de l’édition en se superposant, en se remplaçant et en bénéficiant souvent l’un de l’autre. L’un des points de rencontre les plus singuliers entre impression et numérique réside d’ailleurs dans l’impression à la demande.

Avec l’impression à la demande, le client produit un fichier PDF d’une publication, choisit la quantité, la qualité, le type de reliure et les finitions du manuscrit, et paie le service d’impression numérique en fonction de ces choix. L’impression à la demande ne requiert aucun investissement financier initial puisque le nombre minimal d’exemplaires à imprimer est toujours très faible. Il n’est même pas nécessaire d’avoir des connaissances particulières ; il suffit de savoir créer un PDF. C’est comme cela que l’impression à la demande a rendu possible la publication de manuscrits qui n’auraient autrement jamais pu être imprimés, le tout à un prix dérisoire et dans une forme concrète, stable et facile à lire, des qualités que l’on ne peut pas toujours attribuer aux e-books.

L’auto-publication de livres d’artistes grâce à l’impression à la demande

L’édition de livres d’artistes, un type d’expérimentation artistique né avec les courants d’avant-garde du XXe siècle, a subi une véritable révolution ces dix dernières années. Livres et supports imprimés d’artistes ont connu un réel essor, notamment grâce à l’augmentation des salons de livres d’artistes auto-publiés. Le développement de l’auto-publication dans l’univers artistique survenu ces dernières années est en effet bien souvent lié aux possibilités offertes par l’impression à la demande.

L’auto-publication permet d’échapper aux contraintes éditoriales imposées par les maisons d’édition et aux processus d’impression traditionnels pour toucher un nouveau public. Le résultat est intéressant, à la fois pour les artistes et pour le public qui peut découvrir des œuvres dépassant les modèles prédéfinis dictés par les lois du marché.

Les projets d’artistes qui utilisent non seulement l’impression à la demande comme moyen d’auto-publication, mais aussi pour explorer et repousser les limites du possible sont particulièrement captivants.

Silvio Lorusso e Giulia Ciliberto, Blank On Demand. 2011
Silvio Lorusso e Giulia Ciliberto, Blank On Demand. 2011

Exemples surprenants d’auto-publications artistiques

Blank On Demand” et “The Black Book” sont deux exemples en apparence opposés, mais liés par leur brillante utilisation du support imprimé. Le premier est une œuvre de Silvio Lorusso et Giulia Ciliberto composée de deux volumes ayant respectivement la taille et le nombre de pages maximal et minimal imposés par les normes d’édition. Ces deux volumes ne contiennent que des pages blanches, et un code ISBN, c’est-à-dire le code unique permettant d’identifier chaque livre. De son côté, “The Black Book“, conçu par Jean Keller, est un volume de 740 pages entièrement imprimé en noir. L’encre noire pour imprimantes numériques est en réalité extrêmement coûteuse, mais puisque les services d’impression à la demande réalisent leurs devis en fonction du nombre de pages et non de la quantité d’encre, le projet final est d’un excellent rapport qualité/prix.

Jasper Otto Eisenecker, Camouflaged Books. 2014
Jasper Otto Eisenecker, Camouflaged Books. 2014

Un autre projet portant sur les possibilités et les incapacités de l’impression à la demande est “Camouflaged Books“. Cette série de publications de Jasper Otto Eisenecker développe différentes stratégies visuelles permettant de “camoufler” des contenus auparavant bloqués par les plateformes d’édition, car jugés inappropriés ou offensants, et de contourner les systèmes automatiques de censure.

Michael Mandiberg, Print Wikipedia – from Aachen to Zylinderdruckpresse, at Import Projects, Berlin. 2016
Michael Mandiberg, Print Wikipedia – from Aachen to Zylinderdruckpresse, at Import Projects, Berlin. 2016

L’impression à la demande a souvent constitué pour les artistes un pont entre l’univers du Web et celui de l’impression. De nombreux livres et projets post-numériques ont été réalisés en puisant dans les contenus du Web et en utilisant l’impression à la demande comme support. Comme son nom le laisse entendre, “Pinte Wikipedia” de Michael Manderei, est l’un des projets les plus emblématiques consistant en un recueil de tous les termes existants sur le Wikipedia anglophone le 7 avril 2015, sous forme de 7 473 volumes, dont 106 ont été imprimés. Le téléchargement des fichiers sur la plateforme d’impression à la demande a nécessité 24 jours, 3 heures et 18 minutes, et l’objectif de cette œuvre était de montrer matériellement l’immensité de Wikipedia.

Karol's Kosas, Anonymous Press
Karol’s Kosas, Anonymous Press

La plateforme éditoriale en ligne Anonymous Press travaille également avec des contenus du Web. Elle a proposé aux internautes de sélectionner la base de données en ligne de leur choix ainsi qu’un thème pour produire automatiquement une petite publication d’images, imprimable à la demande pour 3 dollars. Bien que ce service ne soit plus disponible aujourd’hui sur le site, le vaste catalogue de publications prêtes à imprimer est quant à lui toujours visible.